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Notre Père : le retour des bondieuseries ?
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Plusieurs fidèles de Saint-Jean m’ont interrogé sur la nouvelle traduction liturgique du Notre Père, que devrait adopter l’Eglise Catholique en France à partir du 22 novembre prochain. Sur la forme, je regrette vivement une rupture œcuménique : rappelons que la traduction précédente, datant de 1966, avait été élaborée ensemble par les catholiques, les protestants et les orthodoxes, et nous permettait de nous retrouver dans la prière après des siècles de division. En 2013, plus de concertation, démarche unilatérale. Et les catholiques romains divisent ce que Dieu avait réuni. Je suis conscient de la virulence de mes mots, mais je ne crois pas qu’ils dépassent le déni d’œcuménisme que nous subissons ici. Le cheminement commun doit continuer.
Penchons-nous un peu plus sur le fond à présent. Pour commencer, je vais citer un extrait d’un article du Monde que plusieurs d’entre vous ont lu, qui évoque le débat théologique autour de la traduction :
(La traduction de 1966) avait été jugée » blasphématoire » par certains théologiens, dès la fin des années 1960 et refusée par les courants les plus traditionalistes. La formulation laissait en effet entendre que Dieu lui-même inciterait les fidèles à succomber à la tentation. » Cette traduction suppose une certaine responsabilité de Dieu dans la tentation qui mène au péché, au mal. Or, dans tout le Nouveau Testament, il n’est pas dit que Dieu tente sa créature humaine « , rappelait en 2011 Mgr Hervé Giraud, évêque de Soissons et auteur d’un texte résumant les tenants et aboutissants de ce sujet épineux. » C’est le diable qui se charge normalement de cette opération « , insistait-il.
Dès 1969, l’abbé Jean Carmignac soulignait dans sa thèse » Recherches sur le Notre Père « , les difficultés d’interprétation et les confusions soulevées par le passage de l’hébreu au grec et du grec au français. Le religieux proposait aux fidèles une formule moins compromettante : » Fais que nous n’entrions pas dans la tentation. » Au fil des années, certains, parmi les protestants, lui ont préféré l’expression » ne nous laisse pas entrer en tentation « , une expression adoptée en 2000 par la Bible de Jérusalem. D’autres ont proposé » ne nous induis pas en tentation « , voire » ne nous introduis pas en tentation « , toutes options jugées inappropriées. Les plus anciens se souviennent de la formule antérieure à Vatican II (1962-1965), avec vouvoiement de rigueur : » Ne nous laissez pas succomber à la tentation. «
L’Eglise Protestante Unie de France n’a pas encore pris position sur cette question. Je vous livre donc mes réflexions personnelles :
Certes, il faut éviter de laisser entendre que Dieu est directement cause d’un mal, donc je comprends que le texte actuel pose question. Cependant, je pense qu’il faut résister à la tentation de trop accommoder le texte, car malheureusement il me semble en lisant le grec de Mt 6,13, que le verbe en question est bien un acte de Dieu, et pas seulement un « laisser faire » de sa part. Donc la solution consistant à lire « ne nous laisse pas entrer » force le texte – me semble-t-il , et je ne suis pas immédiatement convaincu qu’elle soit moins mauvaise que la traduction actuelle. Il faudrait vraiment entendre un exégète là-dessus.
Théologiquement, plutôt que d’essayer de tracer un cordon sanitaire et d’expliquer que Dieu n’est en rien impliqué activement dans tout cela, il me semble qu’il est plus juste de le laisser être lui-même impliqué dans le scandale de l’absence de justice, au moins en forme de question. Dans l’interprétation de ce verset du Notre Père, on peut aussi rappeler le parallèle avec la prière de Jésus au mont des Oliviers. « Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? », disait quelqu’un. Proposera-t-on aussi de traduire « Pourquoi m’as-tu laissé être abandonné ? » ?
Je crois que le vrai Dieu est celui auprès de qui l’on s’indigne, y compris en demandant justice auprès de lui. Le doute quant à sa bonté pour nous est un moment qui appartient à l’intensité de la relation de foi que nous avons avec lui. Ce qui n’empêche pas que la certitude quant à sa bonté soit en même temps un moment essentiel de la foi. Ne cherchons surtout pas à effacer ce paradoxe.
Donc : voici ma réponse provisoire, sans clore le débat qui va se poursuivre dans nos Eglises :