Dimanche 17 mai, à l’occasion de son synode national, l’Église Protestante Unie de France a autorisé officiellement la bénédiction des couples de personnes du même sexe. Une décision appuyée par une très large majorité (94 pour / 3 contres), et dont les enjeux sont plus complexes que ce qu’il parait de prime abord.
Prenons le temps de comprendre les fondements de cette décision et ses implications.
Evitons tout d’abord le raccourci qui consisterait à prendre la position de l’EPUdF comme un message symbolique ou revendicatif, comme le suggèrent de nombreux commentaires d’internautes à la suite d’articles publiés récemment sur le web. Le texte voté en synode précise que la démarche est d’abord celle d’une possibilité et d’un accueil, répondant à une question plus vaste : « Comment accompagner nos contemporains, au plus près de leurs existences, dans leurs joies et dans leurs peines, dans les chemins qu’ils choisissent et ceux qu’ils subissent, dans leurs alliances et leurs séparations, pour permettre d’entendre une bonne nouvelle qui donne sens et saveur à leur vie toute entière ?»
Une fois cette question posée, la réponse s’appuie sur des fondements théologiques issus de la Réforme.
Quelques clefs pour comprendre la décision synodale
Pour commencer, rappelons que pour les protestants, le mariage n’est pas un sacrement, mais la bénédiction d’une union réalisée dans un cadre civil. Partant de ce point de vue, la question de bénir les couples de même sexe n’est pas la même que pour d’autres traditions chrétiennes. Et cela peut expliquer pourquoi d’autres églises protestantes (c’est le cas au Canada, dans les pays scandinaves en Espagne ou en Italie…) ont déjà pris des décisions similaires sur la même question.
Par ailleurs, la position de l’EPUdF s’appuie sur une lecture ouverte de la bible, comme le précise le texte voté en synode : « Sans figer les Ecritures dans la lettre d’une loi immuable, elle [l’EPUdF] entend être fidèle à l’Evangile de Jésus-Christ et à son exigence, fondement de sa foi et de son espérance ».
Car en effet, comme l’ont souligné certaines critiques, il existe bien des textes bibliques qui condamnent l’homosexualité. Mais n’oublions pas que l’on trouve également dans la Bible des textes qui justifient l’esclavage ou qui incitent à mettre à mort les menteurs ! Et bien évidemment, aucun chrétien (espérons) ne verra ne difficulté à prendre de la distance par rapport à de tels textes !
De manière plus positive, l’EPUdF préfère mettre en avant le fait que les Écritures exhortent les chrétiens à la bénédiction et au témoignage de leur foi. La décision synodale rappelle notamment le verset « Bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction » (1 Pierre 3, 9)
Une décision aux implications plus larges
Bien que la possibilité de bénir les couples homosexuels ne représente pas un point central de la doctrine protestante, cette décision synodale met en jeu des aspects plus fondamentaux.
Tout d’abord, par sa position, l’EPUdF se distingue d’autres Églises, comme l’Église Catholique, sur des conceptions morales. Cette différence pourrait donc apporter d’autres thématiques au dialogue œcuménique qui n’a cessé de progresser depuis plusieurs décennies.
De plus, l’EPUdF, en revendiquant une lecture ouverte de la Bible, se démarque d’autres courants protestants, en particulier évangéliques, qui préfèrent une interprétation plus littérale. A ce titre, on pourrait donc dire que l’EPUdF vient de mettre en avant une position très luthéro-réformée, et cela suscite le débat avec des courants qui évoluent en son sein de manière plus minoritaire.
Un signal positif concernant le fonctionnement de l’Eglise Protestante Unie de France
Au-delà de la décision qui a été prise, le résultat de ce synode implique quelque chose de particulièrement encourageant pour l’EPUdF, créée en 2013 par la réunion des Églises Luthériennes et Réformées.
Il démontre tout d’abord une capacité à prendre une décision sur un sujet polémique, ce qui pour une Église, est un signe de dynamisme (là encore, indépendamment du contenu de la décision).
Pour autant, contrairement à ce qu’affirment certains détracteurs il est inexact de dire que cette décision aurait été prise « dans la hâte de répondre à la pression de la société et l’évolution de ses mœurs ». Tout d’abord, parce que le sujet avait déjà été abordé, lors de ces 15 dernières années au sein des Eglises Luthériennes et Réformées. Et même s’il faut admettre que l’évolution de la loi Française a considérablement accéléré l’aboutissement du débat, cette position s’inscrit bien dans une tradition Luthéro-Réformée, soucieuse d’accompagner les couples dans leur engagement civil.
Il est également très positif que ces discussions, instruites par des discussions organisées dans les paroisses, puisse aboutir à une décision à la fois claire, et respectant les nuances et divergences exprimées : « Le Synode est soucieux à la fois de permettre que les couples de même sexe se sentent accueillis tels qu’ils sont et de respecter les points de vue divers qui traversent l’Église Protestante Unie. Il ouvre la possibilité, pour celles et ceux qui y voient une juste façon de témoigner de l’Évangile, de pratiquer une bénédiction liturgique des couples mariés de même sexe qui veulent placer leur alliance devant Dieu ».
En conclusion, il est encore trop tôt pour parler des implications qu’aura une telle décision sur le dialogue œcuménique et avec les différents courants qui traversent l’EPUdF. Cependant, nous pouvons déjà nous réjouir que de telles questions soient posées en Eglise, preuve d’une ouverture aux questions de société, et occasion de témoigner de la foi chrétienne.
Espérons donc que de telles questions continueront à animer les différentes communautés chrétiennes dans un cadre d’ouverture et de rencontre vivantes !
Benjamin Thierry & Frédéric Chavel