Méditations par le pasteur Denis Heller (paroisse réformée de l’Annonciation)
Lecture de Jean 18 v 1 à 27 – Première méditation : « Jésus le Nazoréen »
Au travers de cette célébration du Vendredi saint de type méditatif, nous voilà placés à l’écoute des récits de la passion. Pas à pas, nous suivrons Jésus dans les différentes étapes qui le conduisent à la crucifixion. Nous pourrions nous contenter d’être de simples auditeurs, des auditeurs libres, libres de tout engagement, de toute appropriation ; simples spectateurs d’une scène jouée d’avance dont nous connaissons par cœur le déroulé et le final. Pour renouveler notre écoute, aiguiser notre attention et notre regard, je vous propose dans ce cheminement méditatif, de nous arrêter un instant, à chacune de ses étapes, sur la manière dont Jésus est désigné, désigné bien sûr par l’auteur de l’Évangile de Jean mais aussi désigné par les différents acteurs de la tragédie. La façon dont nous nommons le prochain, en dit long sur notre relation à lui, sur ce que nous reconnaissons de lui, en lui, sur ce qu’il est pour nous, qui plus est ici lorsqu’il s’agit de Jésus.
Ici, pour chacun des acteurs en présence : les soldats, Judas, les autres disciples, Pierre en particulier, Hanne, Caïphe le grand prêtre, Jésus peut être regardé, nommé différemment.
Cependant, pour l’heure, au moment de son arrestation et du tout début de son procès, Jésus est désigné de la manière la plus neutre possible : Jésus de Nazareth, il faudrait littéralement dire, « le Nazoréen » ou le Nazaréen, c’est à dire l’habitant du village de Nazareth même si certains exégètes voient dans ce terme de Nazoréen une allusion à la fonction du « nazir » de la 1ere alliance , homme consacré spécialement à Dieu. Quoiqu’il en soit, Jésus de Nazareth ou Jésus le Nazoréen, c’est son état civil et c’est bien lui que les soldats, soldats fournis par les grands prêtres et les pharisiens viennent chercher. Judas les accompagne pour s’assurer qu’il n’y ait pas erreur sur la personne. Par deux fois, les soldats indiquent qu’ils sont venus chercher Jésus le Nazoréen. Par deux fois, celui-ci répond qu’il est bien la personne recherchée. Pour une fois, me direz-vous, il décline son identité, lui qui a l’habitude de laisser un voile sur ce qu’il est, comme s’il jouait à cache à cache, comme si il voulait éviter d’être récupéré, instrumentalisé, pris pour ce qu’il n’est pas. Pour une fois, il assume. Mais cela ne dit pas grand-chose sur le personnage. Un état civil reste lettre morte lorsqu’il n’est pas accompagné d’une rencontre, d’un dialogue.
Qui est ce Jésus le Nazoréen que les soldats conduisent d’abord à Hanne avant qu’il soit remis à Caïphe le grand prêtre ? Ceux-ci l’interrogent et cherchent à savoir. Est-il seulement un maître entouré de sa cour et de ses disciples, comme il en existait beaucoup d’autres à cette époque, en Galilée et en Judée ? Est-il un maître initiatique, enseignant une doctrine cachée et ésotérique à quelques privilégiés ? « Non, répond Jésus : j’ai parlé ouvertement au monde et je n’ai rien dit de secret ». Est-il par son enseignement, dispensateur d’un savoir nouveau, d’idées nouvelles voire dangereuses qui pourraient jeter le trouble à l’ordre public et en particulier à l’ordre religieux ? Fauteur de troubles ? agitateur public ? Un homme à sanctionner au nom de la sacro-sainte notion de « trouble à l’ordre public » qui est et restera toujours l’arbitraire des puissants, l’arbitraire des autorités qu’elles soient politiques ou religieuses. Pour le moment la question reste ouverte ; le procès est en cours.
Mais déjà, il faudrait dire plutôt mais encore, au vue de l’Évangile qui précède , l’auteur de l’Évangile de Jean nous laisse entrevoir que Jésus est plus que le simple homme de Jésus de Nazareth, plus qu’un simple habitant de Nazareth , plus qu’un simple interprète des Écritures, comme tout Juif pouvait l’être.
En effet dans sa confrontation aux soldats, au grand prêtre, étonnement, c’est lui qui conduit les opérations, questionne les soldats, prend les devants, comme s’il choisissait lui-même ce chemin, ce chemin du don, ce chemin du service, ce chemin de vérité. Et puis, il y a ce court dialogue entre les soldats et Jésus dans lequel il confirme qu’il est bien ce Jésus de Nazareth recherché. Il emploie des termes lourds de sens et de signification. Es-tu Jésus de Nazareth ? Il répond ; en grec « ego eimi », littéralement non pas je le suis, mais « je suis ». Je suis, ce « je suis » qui parcourt tout l’Évangile de Jean, Je suis la porte, je suis le pain de vie, je suis la vie, je suis le chemin. Un « je suis » de Jésus qui renvoie au premier « je suis » du buisson ardent de l’Exode. Jésus de Nazareth, Jésus le Nazoréen… celui qu’il faut suivre jusqu’à la crucifixion et la résurrection pour percevoir et mieux comprendre son identité…
Lecture de Jean 18 v 28 à 19 v 16 – Deuxième méditation : le Roi des Juifs
Le procès de Jésus se poursuit. Nous l’avions quitté alors qu’il était confronté aux soldats et aux autorités religieuses juives. Il était alors désigné sous le nom de Jésus le Nazoréen, Jésus de Nazareth, en tant que maître enseignant au milieu de ses disciples. Le voilà maintenant face à Pilate, le gouverneur romain, l’autorité politique en place. Il est désigné comme le roi des Juifs. Es-tu le roi des Juifs ? demande Pilate à Jésus. Comme à son habitude Jésus esquive la question par une autre question. Autant la première désignation « Jésus le Nazoréen » est simple, accepté par tous et accepté en particulier par Jésus lui-même, autant celle-ci « roi des Juifs » fait problème, fait polémique.
Pilate l’utilise sans trop savoir s’il peut, sans trop comprendre, d’où ses hésitations et ses tergiversations avec la foule, d’où son interrogatoire serré avec Jésus. Il la fera sienne à la fin du procès en disant à la foule « voici votre roi », tout juste avant qu’il ne soit livré pour être crucifié.
Les soldats eux l’utiliseront à leur compte avec un brin d’ironie, de mépris et de dérision en le saluant : » Salut roi des Juifs ». Ils auront l’outrecuidance de lui tisser une couronne d’épines et de la lui mettre sur la tête, comme pour tout roi.
La foule elle, conteste et récuse avec force et violence une telle désignation : « Nous n’avons pas d’autre roi que César ». « Quiconque se fait roi se déclare contre César ». Il n’est pas question pour elle de reconnaître en lui un roi, d’autant qu’il s’est fait fils de Dieu, fait-elle remarquer. Peut-être l’aurait elle accepté comme roi, si Jésus s’était mis à contester l’autorité politique en place, si celui-ci avait eu un réel programme politique à la hauteur de son espérance, de son souhait d’être libérée de l’occupant romain. Quant à Jésus, comme à son habitude, il reste énigmatique. Il laisse parler. Il laisse dire, comme pour laisser une forme d’incertitude et de halo sur sa personne et sa mission.
« Tu es donc roi ? » lui demande Pilate. Réponse de Jésus : « C’est toi qui dis que je suis roi ». En fait à la question de Pilate : « Es-tu roi des Juifs ? » Il répond par un oui et par un non. Oui, si le fait d’être désigné comme implique une forme de royauté, nous pourrions traduire, une forme de règne ou de royaume. Non, s’il s’agit d’associer cette royauté, aux juifs, comme si celle-ci allait correspondre alors à une entité politique, nationale, territoriale. Déjà au tout début de l’Évangile de Jean Jésus dans la bouche de Nathaneel est désigné comme Fils de Dieu, roi d’Israël.
Jésus, roi des juifs, une affirmation par les uns utilisée, par les autres contestée, par Jésus partiellement assumée et face à laquelle Pilate reste désarmé.
Car enfin comment la comprendre ? Comment en saisir le sens ? Quelle est la nature de cette royauté, si royauté il y a ? Pas de palais, pas de splendeur, pas de cour, pas de soldats. « Ma royauté n’est pas de ce monde , si ma royauté était de ce monde ; mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré aux Juifs, mais maintenant ma royauté n’est pas d’ici » dit Jésus à Pilate. Une réponse qui n’est pas véritablement une réponse puisqu’elle n’apporte pas plus de lumière sur un royaume, autre, dont les critères et les repères obéissent à une autre logique que les royaumes de ce monde. Pilate reste sur sa faim, d’où la poursuite du dialogue entre lui et Jésus. Et Jésus alors, de lui dévoiler davantage la réalité de ce royaume de cette royauté dont il serait roi : « Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité » lui dit-il. Jésus voudrait -t-il dire qu’il est roi d’une royauté où la vérité règne ? Un royaume de vérité, un règne de vérité où il n’y a nul besoin de palais, ni de soldats, de ni de forces instituées, car tout simplement elle se reçoit, elle se donne, elle se vit, elle s’impose d’elle-même. « Mais qu’est-ce que la vérité ? » dira Pilate ; Qu’est-ce que cette vérité ?
Alors Jésus, roi des Juifs ? Un roi, s’il l’est, bien étrange, déroutant, énigmatique, à l’encontre de toutes nos logiques humaines. Peut-être pour en comprendre la royauté et l’identité, faut-il le suivre jusqu’à la crucifixion et la résurrection ?
Lecture de Jean 19 v 17 à 42 – Troisième méditation : Jésus le Nazoréen , le roi des Juifs
Nous avons repéré que Jésus au tout début de ce récit de la passion, au moment de son arrestation, est désigné comme Jésus le Nazoréen, Jésus de Nazareth. Lors de sa confrontation avec Pilate, le gouverneur romain, il est désigné comme roi des Juifs. Est-ce à juste titre ? Est-ce à tort ? Les avis divergent. Ce n’est pas la seule question ouverte ? S’il est roi, quelle est la nature de ce royaume ? Et si ce royaume est un royaume où règne la vérité, quelle est cette vérité ? Autant de questions ouvertes, auxquelles vient se rajouter une autre question, la grande question, la question de la crucifixion, celle de la mort de Jésus de Nazareth, la mort de ce prétendu roi des Juifs, sur la croix au Mont Golgotha ?
Vous aurez repéré à la lecture du dernier passage du récit de la passion que Jésus est alors désigné comme, je cite, « Jésus le Nazoréen, le roi des Juifs ». Cela est écrit sur l’écriteau placé sur la croix, comme cela était d’usage de le faire pour toute crucifixion. Une désignation qui combine, associe les deux précédentes, cette fois ci,à la vue de tous. Une désignation en quelque sorte officielle, affichée aux yeux de tous, qui ne peut être contestée même si elle peut être interprétée de manière différente. Les autorités juives font d’ailleurs remarquer à Pilate que plutôt que d’écrire : roi des Juifs, il aurait fallu mettre : « cet individu a prétendu qu’il était le roi des Juifs ». La polémique se poursuit. Désignation aux yeux de tous, qui plus est, est écrite en plusieurs langues, en hébreu, en latin et en grec, comme pour le faire savoir à tous les peuples de la terre. Ce Jésus, Jésus le Nazoréen, son état civil est roi, roi des Juifs. Qui voudra comprendre, comprendra ! Une désignation de dérision ? D’ironie ? de moquerie ? ; une désignation de justice expliquant le motif de la sentence, ? ou au contraire d’injustice ? Une désignation de vérité… de vérité peut être ?
A chacun de voir, d’interpréter, de chercher à comprendre ?
Mais n’est-ce pas notre auteur de l’Évangile de Jean, qui parle de la croix, tout au long de l’Évangile, comme du moment de glorification, d’élévation de Jésus lui-même, ou dit autrement d’un moment unique de révélation, et de vérité ? Plusieurs fois, dans notre récit, revient cette expression : « tout est accompli » comme pour nous dire que ce moment de la crucifixion est non seulement élévation glorification mais aussi accomplissement.
Et si la croix était alors, ce moment de vérité, où Jésus devenait vraiment roi, le moment de son intronisation ? Et si en fait, Pilate le sceptique qui ne comprenait rien à cette royauté d’un autre monde, à une vérité insaisissable, était celui qui désignait par l’écriteau installé et par la crucifixion elle-même, le roi, le royaume où la vérité règne ? Dans la croix, en vérité, n’est-ce pas la vérité du mal qui se révèle, du mal insensé qui met à mort l’innocent, la vérité de la cruauté et la méchanceté possibles d’une humanité qui peut choisir le néant, et la mort ? N’est-ce pas la vérité d’une humanité aux prises avec la radicalité du mal et qui peut être habitée par des puissances mortifères et succomber aux pouvoirs de l’absurde, des ténèbres et de la jouissance de la destruction ?
Mais dans la croix, en même temps, en vérité, le roi se révèle dans le dépouillement et le dénuement, dans la force de l’amour, dans la fragilité et la réalité du don, dans une faiblesse apparente qui est tout à la fois présence et retrait. Dans la croix, en vérité, le visage de Dieu se révèle ; puissant dans l’amour, le pardon et le don au point de se rendre fragile et faible. En vérité, un Dieu autre, tout autre qu’on ne peut jamais saisir, ni capter, ni instrumentaliser qui échappe à vos volontés de pouvoir et de puissance mais qui se donne par grâce dans la fragilité et la faiblesse d’une présence, d’une parole.
A la croix, vérité sur le monde, sur le mal, et vérité sur Dieu se croisent. Tout est accompli.
Jésus le Nazoréen, roi révélé à la croix, roi d’un royaume, où règne la vérité de l’amour, de son amour.
Dans ce Royaume à vivre dès maintenant, dés ici-bas, il nous attend, il nous invite, il nous accueille. Amen