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« Un enseignement nouveau donné d’autorité »
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Prédication donnée par le Père Richard Escudier, curé de la paroisse Saint-Pierre du Gros Caillou, à l’occasion de la Semaine de prière pour l’Unité, lors du culte du 28 janvier.
Le texte biblique est dans l’évangile selon Marc, au chapitre 1, les versets 21 à 28.
Jésus a commencé sa mission publique. Déjà il a appelé ses premiers disciples. L’épisode qui suit raconte sa première guérison d’un démoniaque. Et là, il rencontre aussi sa première grave opposition. Il est confronté à la présence du mal en l’homme à travers un possédé qui le prend à partie ; quand Jésus a annoncé le Royaume, un démon se manifeste en l’apostrophant.
Comment le Seigneur va-t-il réagir ? On va le voir dans un instant. Disons tout de suite qu’il y a là quelque chose qui nous dépasse, évidemment.
Mais nous pouvons tâcher de comprendre à travers ce récit quel sorte de défi s’impose aujourd’hui au disciple du Christ face au mal qui agite l’homme.
1) D’abord l’Affrontement
Tout commence avec la scène où l’on voit Jésus qui enseigne dans une synagogue; un enseignement qui est donné « avec autorité » et non pas à la manière des scribes. L’évangéliste veut nous dire par là que la puissance de conviction de Jésus est à la mesure de la conversion à laquelle il appelle les hommes: la puissance de l’Évangile ouvre les cœurs. C’est cette autorité qui provoque la colère d’un démon tapi dans un homme à la synagogue où Jésus enseigne : « Que nous-veux-tu, Jésus de Nazareth ? »
Jésus invite à un changement si radical que quelqu’un s’en inquiète et le manifeste bruyamment. En un mot, par sa parole, Jésus dévoile le mal. Ici, il ne s’agit pas de quelques personnes mal disposées envers le Seigneur, des opposants comme il y en a tant dans les évangiles, mais d’un démon. Lui au moins a compris. Il a compris qui est Jésus : « Je sais qui tu es, le Saint, le Saint de Dieu. » On notera la différence avec les auditeurs, moins perspicaces, qui se contentent d’être frappés par l’enseignement de Jésus. Le démon va droit au but.
La manifestation du divin ne va pas de soi et les anthropologues du sacré ont analysé le phénomène du « tremendum » qui remplit de terreur, tel Rudolph OTTO1. Il ne faut pas l’évacuer trop vite comme si, après tant de siècles polis par le christianisme, il était évident que la divinité serait, pour nos contemporains, « inoffensive » ! Le divin n’attire pas toujours comme un aimant l’être humain ; il y a une certaine place pour une forme de crainte. Admettre l’existence d’un Être supérieur pourrait ne pas aller de soi quand on cherche à préserver sa tranquillité !
En l’occurrence, dans notre évangile, nous changeons de plan, car en effet à la fascination d’un sacré inquiétant la foi chrétienne oppose la sainteté. Cette fois-ci, il ne s’agit pas d’une terreur aveugle mais de la confrontation de Dieu avec la puissance du mal.
Car le démon a fort bien vu qui est Jésus. Et sa réaction pourrait se formuler ainsi, très brutalement : « Qu’as-tu à te mêler de nos affaires ? »
Regardons-y de près ! Quel pouvoir d’intimidation et de manipulation perce dans cette exclamation !
Nous savons le danger que représente une puissance qui ne dit pas son nom mais téléguide insidieusement des consciences qui ne s’en rendent pas compte.
Le serpent de la Genèse ne se nomme pas, il reste sans nom et sans visage !
Or le propre de Dieu n’est pas d’anémier la conscience individuelle, mais au contraire de la l’élargir. Nous voyons bien que le degré d’annihilation de la conscience morale va paradoxalement de pair avec l’effacement de la responsabilité individuelle. Les pires crimes sont anonymes.
Combien d’exemples nous sont donnés dans le monde de ces abus de pouvoir cachés qui font des victimes. Certains résistent et paient de leur vie de se « mêler » de la vérité.
Le courage de la vérité, c’est de ne pas se laisser abuser, de ne pas se résigner face à l’asservissement invisible de l’intelligence et de la volonté. Le mal tapi dans l’ombre, sournois et anonyme, ne supporte pas la résistance de la vérité. Toutes les victimes du terrorisme et des totalitarismes, des idéologies et des modes intellectuelles le savent, malheureusement : « Combien est insidieuse et redoutable, invisible et parfois indiscernable, omniprésente, l’inclination au mal. Qui ne cède à la tentation de l’argent, du pouvoir, du savoir ? »2
2) …Le Dieu qui a un nom
La réponse de Jésus est en fait une riposte. Elle ne se fait pas attendre : « Silence, sors de cet homme ! »
Lorsque le démon désigne Jésus comme « le Saint de Dieu » et qu’en retour Jésus manifeste son autorité en le réduisant au silence, l’on assiste littéralement au dévoilement de ce qui se trame dans l’humanité. Plus tourmentée qu’elle ne le croit par la puissance du mal, cette humanité est cette victime que Jésus libère de ses prisons, de ses liens intérieurs inconscients.
De cette absence à soi-même dénoncée tout-à-l’heure dans la présence d’un « sans nom »… il ne peut y avoir qu’un interlocuteur, Dieu qui s’approche de « cet » homme dans sa rencontre avec Jésus… En Jésus, Dieu se présente…
Au Buisson ardent, Dieu ne s’est-il pas révélé comme le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob ? Il est un Dieu qui se révèle à des personnes. Le démon préfère l’obscurité des manipulations invisibles… Le Dieu au visage d’homme que le démon nomme « le Saint de Dieu » oblige le démon à sortir du bois, il ne peut plus rester dissimulé devant le Dieu qui se manifeste.
Une remarque : par une subtile inversion, il faudrait dire que ce n’est pas le mal qui constitue une objection contre Dieu, c’est Dieu en la personne de Jésus qui constitue une objection contre le mal ! Parce que Dieu, au lieu de rester lointain et indifférent, fait sortir le mal de sa tanière et l’affronte.
3) D’où le bienheureux devoir de reconnaissance !
La suite de l’évangile tient en effet en un mot dans la bouche des témoins de la scène : «Qu’est-ce que cela veut dire ? » Autrement dit, stupeur devant cette autorité qui cloue le démon sur place… Mais la foule étonnée, c’est peut-être nous-mêmes…
Pour non plus, il n’y a pas d’alternative quand l’Évangile démasque le mal : à la question : « qu’est-ce que cela veut dire ? », il faut répondre en face. La vérité qui dénonce la corruption tapie au cœur de l’homme n’attend pas…
Quel est donc aujourd’hui ce démonique qui ne se dit pas ?
Peut être qu’aujourd’hui la volonté de puissance, serait la première forme de ce démonique…: sans faire de la haute voltige philosophique, reconnaissons que « La volonté de puissance, écrit Jean-Luc MARION3 peut tout, mais ne veut réellement plus rien. Sans cesse et sans but, rien. Nous n’avons plus de but qui réponde à la question ‘‘ pourquoi’’.»
La volonté de puissance est l’entreprise de soumission qui n’a tout simplement pas de visage ! Attention à toutes les formes d’annihilation de l’individualité du moi, ce précieux moi qui est le sanctuaire de l’homme. Car, c’est le visage de l’homme qui est en jeu (qui est en « je »…)
Et quel peut-être le visage de l’homme sinon celui qu’il reçoit d’un Autre dans la reconnaissance filiale où il se sait reconnu ? Comme Jésus le Saint de Dieu, l’humain est saint ou sainte parce qu’il est à son tour appelé à être fils ou fille de Dieu! Il nous faut répondre sinon à des entreprises démoniaques (inspirées par la malice) en tout cas démoniques, c’est-à-dire invisibles et insidieuses en nous faisant oublier de qui nous venons.
Le Saint de Dieu est le « Saint » par excellence parce qu’il vient de « Dieu », c’est-à-dire du Père. Le sacré pour le chrétien c’est la filiation confessée envers Dieu le Père, source de toute fraternité sans laquelle il n’y aurait qu’une grande société anonyme dont les manipulateurs seraient irresponsables. Pour nous chrétiens, qui savons de quel Père nous venons, c’est en tout cas la raison de notre chemin d’unité.
Face à la volonté de puissance, la solution serait donc dans un grand acte de gratitude et de reconnaissance pour ce que nous nous ne nous donnons pas à nous-mêmes : Hannah Arendt écrivait : « Le premier résultat désastreux de l’accès de l’homme à la maturité est que l’homme moderne a fini par en vouloir à tout ce qui est donné, même sa propre existence, à en vouloir au fait de même qu’il n’est pas son propre créateur ni celui de l’univers. »4Du coup, il s’invente !
En oubliant son origine, l’homme se voit confisquer son identité, sa personnalité… Il est interchangeable !
Où l’homme retrouverait-il son visage ?…
Que le génie humain soit mis au service de processus anonymes qui dévitalisent la société en faisant de l’homme un simple instrument de production et de consommation, il n’y a qu’un pas… Un élu, chrétien, catholique pratiquant, consciente de ces enjeux, disait récemment : « Les catholiques (chrétiens) doivent se savoir minoritaires. Mais ils rappellent que l’être humain ne se réduit pas à n’être qu’un instrument de production, et qu’il n’a pas que des droits. Il est situé dans une histoire, une généalogie, avec un devoir de reconnaissance pour ce qu’il a reçu » (Marc LE FUR, vice-président de l’Assemblée nationale aux prêtres du doyenné du 7ème arrondissement le 18 janvier 2017)
Violences, obsession de l’argent, menaces sur l’être humain de la conception à la fin de vie, manipulation génétique, transhumanisme, indifférence envers les plus faibles et les pauvres, fanatisme sous toutes ses formes, laïcisme… L’on pourrait ajouter bien des défis.
Comment lutter contre le mal sans nom ?
Chacun pourra réfléchir à des situations vécues personnellement mais aussi aux défis du temps présent : nommons-en quelques-uns dans la ligne de notre évangile :
créons les lieux où la vérité chrétienne de l’homme soit professée et vécue dans sa beauté,
engageons-nous là où la parole chrétienne est importante et attendue sur des sujets qui touchent l’ensemble de la société ; plaçons-nous aux périphéries, dans les avant-postes,
suscitons à partir de l’Évangile une civilisation à l’inverse de la fragmentation et de l’individualisme contemporains pour bâtir une société réellement humaine et fraternelle, et non plus égocentrique et atomisée…
n’oublions pas de protéger la nature, notre maison fragile,
relevons les défis des nouvelles technologies et demandons-nous : sont-elles au service de l’humain ?
Retrouvons le sens d’un authentique sacré qui soit celui du visage de Dieu lisible sur le visage de l’homme, saint parce que fils… à l’image du Fils éternel, le Saint de Dieu.
1 Rudolph OTTO, Le sacré, p.34
2 Adolphe GESCHÉ Le mal p.60-61
3 Brève apologie pour un moment catholique p.90-91
4 Hannah ARENDT, Les origines du totalitarisme, cité par Jean Noël Dumont, Pour une alternative catholique p.66