Vous avez dit : carême ?

Peut-on parler de Carême protestant   ?

Désert tunisien Novembre 06 172« On observait déjà de leur temps le carême, et il y avait quelques superstitions en cela, d’autant que le commun populaire pensait faire un beau service à Dieu, en carêmant, et les pasteurs prisaient cette observance, comme si elle se fût faite à l’exemple de Jésus-Christ ( Mat. 4, 2) », écrit Jean Calvin dans son Institution de la Religion chrétienne1, avant d’expliquer que la tradition chrétienne n’a eu de cesse de « corrompre » le jeûne, faisant de lui une pratique méritoire, ce qu’il ne saurait être.

Et de carême on ne parla plus, dans le monde réformé francophone jusqu’en la seconde moitié du 20ème siècle, même si, pour scander le temps liturgique, il est question, dès le 19ème siècle, des « 4 dimanches de la passion et du service d’humiliation », avant le dimanche des Rameaux.

La tradition luthérienne parle également du « temps de la passion », mais aussi de « dimanches de Carême » car elle est plus sensible aux rythmes liturgiques. Elle partage pourtant les réserves réformées concernant toutes pratiques de mortifications méritoires, parlant d’une « fausse conception des traditions » ; la Confession d’Augsbourg précise : «  il est absolument contraire à l’Evangile de prescrire ou de faire de telles œuvres dans le but de mériter la rémission des péchés, ou de croire que l’on ne peut être un chrétien sans de telles pratiques 2».

« Carême protestant », deux mots qui furent donc pendant longtemps incompatibles dans nos traditions ; l’expression pourtant s’impose, sur la scène francophone, avec la naissance des « conférences de carême », il y a plus de 90 ans, et certainement dans le sillage du mouvement œcuménique.

Temps de préparation à l’évènement pascal, il ne s’agit plus de « mériter » quoi que ce soit, mais de mettre un temps à part, pour faire un peu de place dans nos vies bien encombrées afin de nous rendre davantage attentifs à la grâce qui vient.

Si le vocabulaire est identique, la grammaire conceptuelle n’est plus la même : si nous pouvons parler de temps de préparation, et même de pénitence avec Luther (c’est son fameux semper penitens3), la pénitence n’est plus à comprendre comme un moyen d’acquérir des grâces, mais comme un moyen d’accueillir la grâce.

Nous pouvons ainsi peut-être trouver aussi un sens nouveau au jeûne : non pas celui de la nourriture, de la privation, de la mortification (tout cela n’a pas beaucoup de sens en théologie protestante) mais afin de retrouver des espaces de liberté devant des habitudes qui, avouons-le, parfois nous aliènent :

– celle de la consommation médiatique et de notre hyperconnexion par exemple : télévision, omniprésence des réseaux sociaux, et surtout de ces chaînes d’information en continu, qui nous abreuvent d’images en boucle, dans l’immédiateté de l’émotionnel, et qui viennent empêcher toute réflexion sur l’évènement. Car il faut du temps pour penser les choses ;

– celle de la consommation parfois un peu excessive d’alcool, ou de tout autre penchant addictif ;

– …

 A chacun de trouver son chemin, l’essentiel n’étant pas de « faire », mais de débroussailler un peu sa vie afin de laisser faire Dieu et sa grâce, et de nous laisser conduire à la résurrection.

Alors, bon chemin de carême…

1Livre 4, chap. 12, § 20.

2Chap 26.

3Commentaire de l’épître aux Romains de 1515, 1516.