Assemblée du désert 2017 – prédication de Jean-François Breyne

 

JFBreyne Assemblée du désert 2017

Credit photo : Albert Huber

Dimanche 3 septembre, Jean-François Breyne, pasteur de Saint-Jean présidait le culte lors de l’Assemblée du Désert. Ci-dessous, l’enregistrement de sa prédication diffusé par France Culture, puis le texte complet.

Nous retrouverons évidemment Jean-François ce dimanche pour notre culte de rentrée !

Lectures bibliques : Galates 3, 23 à 29 et Jean 6, 28 à 40

Remarque : La prédication commence à 2’55 et termine à 39’40

Nous Prions :

Notre Dieu, nous venons d’entendre la lecture des écritures : envoie maintenant sur nous ton souffle saint, afin que les vieux mots usés deviennent véritablement pour nous parole vivante et vivifiante.

Donne-nous des oreilles pour entendre et surtout un cœur pour en vivre.

Amen.

Frères et sœurs, « les hommes qui n’ont aucune expérience de la foi chrétienne et qui n’ont jamais senti sa puissance, en font une chose bien extérieure. Comment en parler convenablement, comment comprendre même ceux qui en ont parlé, si dans l’étreinte de l’épreuve et des tribulations, on n’a pas éprouvé ce qu’elle vaut ?

Quiconque au contraire, en a goûté la vertu, ne saurait se lasser d’en parler, d’en écrire, d’y penser sans cesse. Elle est cette source d’eau vive dont parle Jésus-Christ, qui jaillit jusqu’à la vie éternelle »[1].

Ces mots ne sont pas les miens. Ils sont de Martin Luther, bien sûr, 500 ans de la Réformation oblige.

Chemin faisant, ils nous rappellent ce matin quelque chose d’essentiel : que la foi dont parle le 4e évangile, que la foi dont nous parlons est une expérience.

Que la foi n’est pas d’abord je ne sais quelle adhésion intellectuelle à un système de croyances, comme en un gigantesque QCM spirituel, où il faudrait cocher les cases trinité, conception virginale, incarnation, résurrection, péchés et bonne morale bien sûr !

NON !

La foi est une expérience, et comme le dit Luther, ceux qui ne l’ont pas ressentie en font quelque chose de bien extérieur.

Car la foi est saisissement, saisissement par une parole étrange et étrangère qui vient nous arracher à la tyrannie des apparences et des évidences, afin de nous proposer une autre manière d’être, dans le don et le pardon possible.

La foi est une expérience, elle est saisissement par une parole, celle de Christ qui vient faire voler en éclat toutes nos anciennes représentations de Dieu ;

Où Dieu n’est plus un poing dressé contre le monde,

où Dieu n’est plus un doigt accusateur pointé contre nous,

mais une main tendue vers toi, vers moi, vers nous rassemblés ce matin.

Une main qui donne le pain de la vie, dans une parole capable de redonner sens à nos vies si souvent insensées.

Toute la vie chrétienne se tient là, dans ce saisissement, captif désormais que nous sommes de cette parole :

« Je me tiens là, disait Luther devant à Diète à Worms, parce que je ne peux pas faire autrement. Je suis captif des écritures ».

Captifs de cette écriture qui, paradoxalement, nous libère.

« C’est pour que nous soyons vraiment libres que Christ vous a libérés », écrit Paul aux Galates.

Et l’ensemble de la théologie de Luther se concentre dans cette devise, écrit Oswald BAYER [2].

C’est la clef de lecture de Luther, dans l’expérience foudroyante de cette main tendue de Dieu à l’homme, et c’est ce qu’il nous lègue, par-delà ses outrances et ses errances parfois, 500 ans plus tard : un trousseau de clefs.

Une clef de lecture, une clef d’interprétation des écritures et de la foi, une clef herméneutique, disent les théologiens et les philosophes.

Quelle est cette clef ?

Le Christ lui-même, main tendue de Dieu à l’homme,

Le Christ lui-même, parole vivante et vivifiante,

Le Christ lui-même, norme désormais de la vie et de la foi.

Car ma sœur, mon frère, ici un grand piège nous guette.

Nous confessons volontiers que les écritures, la Bible, sont la norme de la vie et de la foi.

Mais la Bible n’est pas la parole de Dieu comme texte.

La Bible est l’écrin de la Parole, comme le berceau de joncs portait Moïse sur les eaux du Nil, disait Luther.

Mais le berceau n’est pas Moïse : il le porte et l’emmène.

De même les écritures ne sont pas la parole de Dieu comme texte, mais les textes la portent et nous l’apportent.

Si les écritures sont bien la seule norme de la vie et de la foi, alors la norme est elle-même normée !

Si le sola scriptura demeure notre vérité première, Luther nous rappelle qu’il y a une norme de la norme, qui est dans le Christ lui-même.

Cela nous enseigne qu’il n’y a pas de lecture naïve, immédiate, qui soit possible du texte biblique.

Qu’il se donne toujours à travailler, à interpréter.

Et que c’est dans ce travail de l’interprétation que se joue tout à la fois notre liberté et celle de Dieu.

Ainsi il nous faut une clef, il nous faudra toujours une clef, car il a toujours fallu une clef  de lecture !

Le plus souvent, celle-ci fonctionne à l’insu du lecteur : c’est la philosophie de l’époque, c’est la morale du temps, c’est la bonne théologie qui règne alors.

Mais Luther, lui, trouve la clef dans le texte lui-même.

Ou plutôt précisément, non pas dans le texte, mais dans la personne du Christ lui-même.

C’est lui qui est la clef d’interprétation de toute la Bible.

C’est avec ces lunettes là que nous pouvons et que nous devons désormais lire notre Bible, Bible qui devient alors véritablement l’écrin d’une Parole vivante et vivifiante et nous fait chemineau des mots, pèlerin de lumière, funambule de la Grâce.

Et ce rappel me semble d’une terrible actualité.

À l’heure de la monté de tous les fondamentalismes, de tous les intégrismes, de tous les littéralismes ;

À l’heure où le religieux ne se fait plus entendre qu’à travers le masque hideux de l’exclusion et de la haine de l’autre, Luther nous rappelle avec quelle lunette il convient de lire : les lunettes du Christ lui-même, pain vivant, main tendue à l’homme.

Ou, pour le dire autrement, les lunettes de la grâce, tout simplement.

Les lunettes de l’Évangile, au singulier, c’est-à-dire de la bonne nouvelle de cette main tendue de Dieu au monde. Pour nous relever.

Et cet évangile résonne de façon particulière dans l’épître aux Romains, bien entendu, mais aussi dans l’épître aux Galates, qui est, dira Luther, « ma petite épître à moi, à laquelle je me suis fié, marié même. Elle est ma Käthe von Bora », épitre à laquelle il consacra un 1er cours dès 1516.

Cette compréhension de l’Évangile comme main tendue pour relever et libérer l’homme, nous la trouvons encore, dès 1517, dans sa série de prédications sur le Notre Père, qui sera publiée en allemand dès le début de l’année suivante, par l’un de ses disciples.

Or le texte évangélique le plus cité alors par Luther est notre chapitre 6 du 4e évangile, ce qui explique que je l’ai retenu pour nous ce matin.

Précisons que Luther gardera toujours une prédilection particulière pour l’évangile de Jean, ainsi que pour le psautier d’ailleurs.

Allons, j’entends mes collègues réformés qui trépignent, et ils ont raison, alors revenons au texte, que diantre !

Notre chapitre 6 nous offre deux clefs supplémentaires.

La première réside au cœur du verset 39 :

« … or la volonté de celui qui m’a envoyé, c’est que je ne perde aucun de ceux qu’il m’a donnés »…

Ma sœur, mon frère, qui d’entre nous ne s’est jamais senti perdu ?

Perdu, lorsque la haine et la violence, partout autour de nous, et parfois en nous, semblent triompher ?

Perdu, lorsque nos familles éclatent, nos enfants vont mal, nos petits-enfants errent entre chaos et non-sens ?

Perdu, lorsque la maladie grave et le deuil s’invitent chez nous à demeure…

(Remarquons chemin faisant que cela dure depuis… que le monde est monde ! qu’il n’y a jamais eu de temps bénis, mais seulement des hommes et des femmes qui vivent d’une bénédiction reçue…)

Oui, qui d’entre nous ne s’est jamais senti perdu ?

A cela, l’évangile de ce matin nous rappelle que la Volonté de Dieu, c’est que « pas un ne se perde ».

Que Dieu est éternellement non pas poing dressé ni doigt accusateur, mais main tendue vers toi, vers moi, vers nous, pour nous relever !

La mission du Christ, son identité même, c’est que « pas un ne se perde ».

La mission du Christ, son identité même, c’est de relever, littéralement de ressusciter,

de te ressusciter, toi, moi, nous, car c’est cela, la volonté de Dieu.

La volonté de Dieu !

Le mot résonne 4 fois dans le texte grec en l’espace de 2 petits versets.

Souvent, nous nous interrogeons sur la volonté de Dieu.

« Que ta volonté soit faite », prions-nous !

Mais qu’est ce que la volonté de Dieu ?

« Une certaine spiritualité (du siècle passé) a pu cultiver une notion de la volonté de Dieu, devenu semblable à une épée de Damoclès, menaçante et arbitraire, suspendue au-dessus de la tête des hommes, à laquelle ils ne pourraient échapper et qui devait les frapper au moment le plus imprévu.

La notion biblique de volonté de Dieu est très éloignée de cette façon de parler, écrit le moine cistercien Dom André Louf. Ce que la Vulgate a traduit par volontas remonte au grec théléma ou eudokia. Les deux mots renvoient à l’hébreu rasôn (parfois aussi ratzah). Or le sens de ces termes est tout différent : aspiration, désir, amour, joie. Ces mêmes racines désignent aussi l’état d’un amoureux et le désir sexuel. L’amour (volonté) de Dieu repose sur le peuple qu’il s’est choisi dans son bon plaisir. […] Cette volonté de Dieu signifie donc ici la joie que notre Seigneur éprouve à cause de son peuple, le grand amour qu’il ressent pour son élu.

Telle est sa Volonté, son théléma : qu’Il aime son peuple, malgré ses nombreuses infidélités. Et la plénitude de ce même amour repose à présent sur Jésus ! Il est le désir et l’amour de son Père, son Bonheur. [3]»

 La volonté de Dieu, c’est son amour pour le monde, sa main tendue vers toi, c’est que « pas un ne se perde » !

Pas un !

Le piège qui nous guette en ces temps agités, c’est celui de la peur, du repli identitaire, de nous comprendre comme une tour d’ivoire assiégée !

Mais la volonté de Dieu est tout autre : elle est main ouverte, main tendue, confiance en toi, en moi, en nous !

Afin de nous donner, face à la méfiance et la défiance, d’inventer à notre tour la confiance.

On ne construit pas une société, on se construit pas l’Église, on ne construit pas sa vie sur la méfiance et la défiance : l’Évangile nous propose un autre chemin, la confiance, envers et contre tout. Et cette confiance ne vient pas de nous : elle nous est donnée.

Pour nous Église, les enjeux à venir s’appellent encore et toujours œcuménisme, dialogue interreligieux, accueil des plus petits, des plus faibles, des exclus, des exilés, des réfugiés…

Et j’en arrive à notre troisième clef pour nous ce matin : un petit verbe que Luther relève déjà dans son commentaire du Notre Père en 1517.

Un petit mot qui résonne pas moins de 11 fois dans notre chapitre 6 :

Donner !

Donne !

Dieu donne.

Dieu est celui qui donne la vie et le pain de vie, qui est dans sa parole.

Christ donne ; il est celui qui donne le pardon, le pardon qui devient la porte d’une nouvelle grammaire relationnelle possible pour nous et entre nous.

Tout le reste n’est que littérature.

L’enjeu est colossal.

Dieu lui-même change de visage, il n’est plus poing dressé contre le monde, et doigt accusateur pointé contre l’homme, mais il est désormais main tendue, pour toi, pour moi, pour nous.

Mais allons encore un peu plus loin !

Les versets 34 à 40 de notre péricope constituent le point culminant de cette première partie du 4ème évangile.

Il vise à clarifier, dit Jean Zumstein, l’identité du donateur de pain véritable : Christ lui-même qui est celui qui donne la vie.

Mais il la donne, la vie, à ceux-là même que Dieu lui a donnés.

La tête nous tourne un peu !

Dieu est celui qui donne.

Il donne la vie et avec elle son fils.

Et cela, il le donne à ceux qu’il lui a donnés, afin que pas un ne se perde.

C’est à y perdre non pas son latin, mais bien son grec !

A moins que :

Et si c’était toi, moi, nous, qui étions aussi don de Dieu ?

Le verbe « donner » qualifie le Christ, mais il qualifie également la foi,

Mais il qualifie encore le croyant, c’est-à-dire toi, moi, nous ensemble.

Et si il y avait là une ultime clef, à savoir redécouvrir que nous sommes un don de Dieu ?

Un don de la vie à la vie ?

Un don gratuit, où le message de la Réformation reprend tout son sens : « pas à vendre ! ».

Non, Dieu ni sa volonté ne sont à vendre : c’est cadeau !

Non, la foi n’est pas à vendre : c’est cadeau !

Non, l’homme n’est pas à vendre, car il est un don de Dieu, lui-aussi !

Ma sœur, mon frère, n’y eût-il jamais meilleure nouvelle pour toi, pour moi, pour nous ?

Tu es, je suis, un don de Dieu.

Notre seule tâche est de le redécouvrir chaque jour, et d’en vivre.

Simplement accepter d’être accepté, et le partager au monde.

Et cela, quoi qu’il nous en coûte ! Car il est possible que cela nous coûte…

Pourtant, « Les hommes qui n’ont aucune expérience de la foi chrétienne et qui n’ont jamais senti sa puissance, en font une chose bien extérieure. Comment en parler convenablement, comment comprendre même ceux qui en ont parlé, si dans l’étreinte de l’épreuve et des tribulations, on n’a pas éprouvé ce qu’elle vaut ?

Quiconque au contraire, en a goûté la vertu, ne saurait se lasser d’en parler, d’en écrire, d’y penser sans cesse. Elle est cette source d’eau vive dont parle Jésus-Christ, qui jaillit jusqu’à la vie éternelle »[4].

 

 

[1]    De la liberté chrétienne, 1520, in « La substance de l’Évangile selon Luther, traduction de Henri Strohl, Éditions la Cause, 2016 avec la mise à jour de M. Arnold, p. 73.

[2]   Oswald BAYER, « L’héritage paulinien chez Luther », Recherches de Science Religieuse, 2006/3, t. 94, p. 381-394.

[3]   Dom André LOUF, Seigneur, apprends-nous à prier, Bruxelles, 1972, Editions Foyer Notre-Dame, p. 43 et 44.

[4]   De la liberté chrétienne, op.cit.