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« LA CLÉ EST SOUS LE PAILLASSON »
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Prédication du Dimanche 13 Juin 2021, par M. Olivier RIEUSSET ( étudiant en théologie, M1)
Texte : Luc 13, 22-30
Quand nous étions enfants, avec mon grand frère, nous passions une bonne partie de nos week-ends et nos vacances avec les copains, au stade de foot du village, qui se trouvait à quelques centaines de mètres de notre maison. Un jour, nous étions seuls à la maison, et puis l’heure est venue de rejoindre notre terrain de jeu favori. Soucieux de ne pas laisser la maison ouverte, nous avons fermé consciencieusement la porte à clé. Et puis nous avons glissé discrètement la clé, comme il se doit, sous le paillasson, non sans avoir vérifié que nous n’étions surveillés ; puis nous avons scotché une grande feuille de papier sur la porte, sur la laquelle nous avions inscrit en grandes lettres majuscules, comme savent le faire les enfants :
« LA CLÉ EST SOUS LE PAILLASSON »
Et nous sommes partis, le cœur joyeux, l’esprit tranquille, fiers d’avoir fait preuve d’une telle ingéniosité, et surtout d’un sens des responsabilités rares, au vu de notre jeune âge !!
Cette anecdote croustillante (mais hélas, authentique !) en dit long sur la symbolique de la porte, et sur son ambigüité : d’un côté, la porte symbolise la sécurité (on est quand même plus tranquille quand elle est fermée, notamment la nuit ou quand on s’absente !) ; mais d’un autre côté, une porte fermée, ça fait aussi peur. Quand elle est fermée, on a peur d’être du mauvais côté. On a peur de trouver la porte fermée et d’avoir perdu les clés, on a peur de rester « enfermé dehors » ; à la porte, on a peur pour soi, ou bien on a peur pour les personnes qui nous sont proches, peur qu’elles ne trouvent pas la clé, qu’on aurait laissée dans un endroit improbable… Incontestablement, la porte est donc un objet aussi rassurant qu’inquiétant, elle est à la fois remède et poison.
Alors quand Jésus évoque une porte, on tend l’oreille. Et puis quelle porte ! C’est de la porte du Royaume de Dieu dont il nous parle ! On tend l’oreille, oui, car s’il y une porte que nous aimerions pouvoir ouvrir, c’est bien celle-là !
On tend l’oreille, mais dans le texte que nous venons d’entendre, on peut être déçu ou en tout cas interrogatifs, car voilà en effet une histoire qui pourrait nous déplaire :
Voilà toutes les questions que ce texte suscite, toutes les peurs et les appréhensions qu’il pourrait attiser. Alors, puisqu’il est question du Royaume, on ne peut faire l’économie d’une lecture attentive et patiente de ce passage, en évitant, si l’on peut, quelques égarements.
Regardons d’abord cet échange étonnant et cruel entre le Maître de maison, qui vient de fermer la porte, et ses interlocuteurs, qui cherchent à se faire ouvrir.
Ils lui demandent d’ouvrir, mais il les repousse, et à deux reprises, il leur dit : « je ne sais pas d’où vous êtes ». C’est comme s’il leur disait : « je ne sais pas qui vous êtes. On se connaît ? ». Mais ils protestent, ils revendiquent, en lui disant : « mais si, tu nous connais, nous t’avons vu. Nous avons mangé et bu devant toi, et tu as enseigné sur nos places ! ». Mais le Maître ne cède pas, et il répète « je ne sais d’où vous êtes », et il ajoute : « écartez-vous de moi, vous tous, faiseurs d’injustice ».
Je voudrais qu’on s’arrête sur ces deux dernières répliques.
Les interlocuteurs du Maître de maison lui disent : « Nous avons mangé et bu devant toi, et tu as enseigné sur nos places » : ce qu’ils veulent dire c’est qu’ils connaissent Jésus, ils savent qui il est, et ils ont même eu l’occasion d’entendre son enseignement.
Jésus en effet est passé par là (l’introduction du texte indique qu’il « passait de villes en villages, justement en enseignant, pour se rendre à Jérusalem ») ; il est passé par là, et ils ont eu l’occasion de le voir, de l’entendre enseigner sur leurs places.
Oui, Jésus est passé par là, mais rien de plus ; Jésus n’a fait que passer dans leur vie ; ils peuvent dire qu’ils savent qui il est, mais il n’y a eu aucun effet, aucun impact dans leur vie. Car le texte nous l’indique ensuite : ils sont restés des « faiseurs d’injustice ». L’enseignement a été entendu, mais il n’a pas suscité l’effet dynamique escompté, cet effet qui consiste à se lever et à se mettre en marche à la suite de Jésus, à mettre en pratique son enseignement.
Au final, maintenant que la porte est fermée (ou en train de se fermer), les voilà qui viennent toquer à la porte. Ils veulent qu’on leur ouvre la porte du Royaume, au simple motif qu’ils ont vu Jésus passer dans leur village et qu’ils l’ont entendu enseigner !!
Ils ont vu Jésus, ils l’ont entendu, certes, mais ils ne sont pas devenus disciples, car ils sont restés spectateurs. Ils ont entendu, mais ils n’ont pas compris, ils sont restés à la porte de l’enseignement de Jésus, sans faire ce pas supplémentaire qui consiste à y entrer, à vivre cet enseignement, à le mettre en pratique, ou pourrait-on dire, à l’habiter, à lui donner chair.
Si l’on va jusqu’au bout de cette lecture, il faudrait ajouter une remarque importante : ces « quémandeurs de salut » ne sont pas seulement les juifs, les contemporains et les compatriotes de Jésus, ceux qui, en effet l’ont vu et entendu de leur vivant. Ce texte vise beaucoup plus large. Ces malheureux qui viennent tardivement toquer à la porte du Maître, et qui veulent lui forcer la main pour se faire inviter, ce sont plus largement tous ceux qui, aujourd’hui encore, restent à la porte de son enseignement.
Si on en restait là, notre lecture de ce texte serait quelque peu réductrice. C’est un peu gênant en effet de penser que l’on pourrait se faire ouvrir la porte du Royaume par une simple opération de séduction, laquelle consisterait à faire des actes de justice. Un esprit un peu mal tourné pourrait penser qu’il n’y a rien de plus facile : pour pouvoir entrer dans le Royaume, en somme, il suffirait de jouer au faiseur de justice ! Est-ce que cela n’ouvre pas la porte (si je puis me permettre) à un retour en force du salut par les œuvres ? N’y a-t-il pas alors le risque d’un nouveau braquage du Royaume de Dieu ? Notre première lecture de ce texte pose donc problème, car elle vient se heurter à cette conviction qui est à la base de notre foi protestante : la justification par la foi, et la foi seule (Sola fide).
Pour dépasser cette première lecture, je vous propose de déplacer notre regard, et nous intéresser de plus près à cette formule de la « porte étroite », expression que nous trouvons au début de notre texte.
Pourquoi donc cette porte est dite « étroite » ?
Pour bien comprendre cette image, il faut avoir à l’esprit ce que veut dire Jésus, dans le contexte qui était celui de son époque. Si la porte du Royaume est comparable à une porte étroite, c’est pour indiquer a contrario,qu’il ne s’agit pas d’une grande porte, comme étaient à cette époque-là les portes des villes. Les villes (et peut-être même certains villages) étaient ceinturées par des murailles, et on ne pouvait entrer que par une ou des grandes portes. On trouve des traces de ce genre d’architecture dans des cités ou des villages médiévaux.
Cela veut dire qu’on ne peut pas passer inaperçu, comme la foule qui franchit les portes d’une ville. On ne peut pas entrer dans le Royaume incognito, noyé dans la foule, ou porté par elle.
Cela veut dire que chacun est invité à s’avancer par soi-même.
Pour nous accueillir dans son Royaume, Dieu veut connaître chacun de nous en particulier. C’est pour cette raison que le Maître refuse d’ouvrir à ceux qu’il ne connait pas, en leur disant, à deux reprises : « je ne sais pas d’où vous êtes ».
La porte étroite, c’est donc une porte qui exige une personne, et une personne qui franchisse elle-même le seuil, sans attendre qu’on la porte, ou qu’on la pousse, et sans espérer y entrer dans l’anonymat d’une foule, d’un groupe, ou bien, si l’on va jusqu’au bout, dans l’anonymat d’une Église.
Le Royaume de Dieu n’est pas non plus comparable à un restaurant (ou une Auberge). On ne programme pas d’y entrer en connaissant à l’avance les heure d’ouverture, et le nombre maximum de places (c’est-à-dire d’élus) ; on ne peut pas s’inscrire à l’avance, comme si on pouvait être sûr que l’on est bien attendu, et surtout que notre place soit retenue ! La porte étroite, cela veut dire qu’il y a urgence à franchir le seuil de la porte, dès maintenant, et à chaque instant de notre vie.
Je voudrais pour terminer m’arrêter sur cette question du « grand nombre ».
Dans une période comme la nôtre, cette parole est particulièrement riche d’enseignement. Nous vivons en effet un moment de l’histoire de l’Église marqué par deux mouvements contradictoires :
Alors cette parole sur la porte étroite peut non seulement nous apaiser, mais être pour nous une source de renouvellement de nos forces. Nous sommes peu nombreux en effet : eh bien n’en faisons pas un drame ! N’en faisons pas une cause d’amertume ou de chagrin ! On trouve un écho de cette idée chez le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer, quand il commente le passage parallèle de l’Évangile selon Matthieu, où il est question aussi de cette porte étroite. Dans le contexte de l’Allemagne des années 1930, avec la montée du nazisme, alors que de nombreux chrétiens (protestants comme catholiques) se pressent pour rejoindre les foules qui acclament leur tyran ; dans ce contexte si particulier, Bonhoeffer rappelle le sens de la « porte étroite » : si la porte est étroite, c’est parce que les disciples de Jésus doivent se méfier de l’attirance, de l’attraction que suscite le nombre, la foule. Ils ne doivent pas placer leur confiance dans le nombre, car le nombre n’est pas un critère, il n’a pas de valeur. Alors pour conclure, voici l’exhortation que Bonhoeffer adressait à ses élèves : « Ayez le courage d’être dans la minorité. Le courage d’être entièrement seul (…). Celui qui n’a pas le courage de la solitude n’a pas compris Jésus ».
Amen