Lundi de Pâques

 

20200412_133908En ce lundi de Pâques, une création nouvelle est à l’œuvre, imperceptiblement, et pourtant bien réellement.

« Quand je crois à la résurrection, c’est pour combattre avec Dieu, c’est pour dire avec lui non aux échecs, à la tentation du désespoir, à la résignation, au fatalisme, aux violences mortifères, aux morts injustes. Pensons d’ailleurs à la mort, si scandaleuse, de tant des nôtres et de tant d’amis.

Dieu est le premier compagnon de nos révoltes. Face à la croix, nous sommes les enfants d’un Dieu qui trouvent en lui une source d’espoir et d’action, une force de révolte et de vie ».  Laurent Gagnebin.

Face à la croix : pour celles et ceux qui souhaiteraient revenir sur les médiations du Vendredi saint, vous pouvez les écouter dans l’onglet prédications,
et pour ceux qui préfèrent la lecture, c’est ci-dessous.

Méditations du Vendredi Saint 10 avril 2020

Pasteur Jean-François Breyne
Pasteure Marie-Pierre Cournot

Première lecture : Marc 14,43-65

Nous voilà heurtés par l’absurdité et la violence de la passion de Jésus qui résonne comme un non-sens.
Ce soir c’est par le fil du vêtement que nous tenterons d’y tisser un sens.
Et d’abord celui du tissu que les couturières « arrêtent » pour qu’il ne s’effiloche pas, que surtout rien ne s’échappe et que tout soit bien maîtrisé.
C’est Judas qui explique qui il faudra arrêter, puis les soldats qui arrêtent Jésus.
Jésus qui leur rappelle qu’ils ne l’ont jamais arrêté quand il était au Temple.
Et finalement le jeune homme que l’on arrête et qui s’enfuit, nu.
On sent la volonté de puissance et de domination derrière ces arrestations en chaîne.
Le seul qui arrive à s’y soustraire, c’est le jeune homme.
Et pour cela il doit se mettre à nu, au sens propre.
Lâcher son drap, son seul habit, lâcher prise en quelque sorte.
Se déshabiller, s’est bien sûr abandonner notre identité construite, celle que nous affichons, que nous opposons au monde et à nous-mêmes, c’est nous désapproprier de nous-mêmes.
C’est ce que fait ce jeune homme.
Marc nous dit qu’on l’arrête, mais qui l’arrête ?
Seraient-ce les soldats ou bien les disciples ou même Jésus pourquoi pas ?
Qui fuit-il, ce jeune homme ?
On ne sait. Ni vers où.
Je ne crois pas que dans sa fuite il abandonne Jésus.
Bien au contraire, je crois que parce qu’il ne s’est pas laissé arrêter, il peut s’enfuir loin des soldats, des êtres humains, de lui-même, il peut suivre Jésus.
Qu’étant enfin devenu lui-même loin de lui-même, par ce geste qui l’a déshabillé de toute convention et soustrait à la main dominante, c’est là qu’il rencontre Jésus.

Un autre, peu après, à maille à partir avec ses vêtements.
C’est le Grand-Prêtre.
Dans un premier temps, il essaye de mener un procès suivant les règles en trouvant plusieurs témoignages concordants qui accusent Jésus.
Jésus lui, un peu comme le jeune homme nu, s’est désengagé, il se tait.
Jusqu’à ce qu’il prenne la parole pour dire qu’il a sa place au ciel à la droite de Dieu.
Et à ces mots le Grand Prêtre déchire ses vêtements.
La coutume veut que l’on déchire ses vêtements en cas de grand malheur, deuil ou colère.
Ici il est probable que le grand prêtre essaye par ce rite de conjurer le blasphème de Jésus qui vient de se positionner à un rang quasi égal à celui de Dieu.
En déchirant ses vêtements sous la colère, le Grand Prête fait acte de violence.
Il espère par ce geste reprendre la main sur la situation, arrêter cette profanation qui le met en danger, qui vient se cogner de plein fouet contre ses vêtements de Grand Prêtre.
Dans un geste opposé à celui du jeune homme nu qui lâchait, il essaye de reprendre possession de lui-même, il fuit à l’intérieur de lui-même, alors que le jeune homme fuyait à l’extérieur de lui-même, vers Jésus.
Et nous, sommes-nous agrippés à ces couches de tissus que nous empilons autour de nous pour nous protéger, pour nous définir ?
Avons-nous peur de vaciller si elles glissaient, ou sommes-nous prêts à les lâcher ?
Vers où, vers qui fuyons-nous ? (MPC)

Deuxième lecture : Marc 14,66-15,20

Qu’y a-t-il à faire, lorsqu’il n’y a plus rien à faire, dit l’homme en sa détresse…
Homme dans sa détresse, l’homme de Nazareth le fut aussi.
Détresse la plus ultime. De celle qui nous constitue, au plus secret de nous-même : la trahison, et les railleries.
Car il faut que nous le sachions :
La trahison et le fouet des quolibets nous constituent.
Elles sont nos expériences les plus fondamentales, à la hauteur de notre confiance brisée, de nos affections bafouées.
Qui, qui d’entre nous, peut dire en vérité, n’avoir jamais ressenti la morsure de la trahison et l’immense désespoir qui en résulte ?
La morsure des moqueries, qui viole le plus intime, et brise l’estime de soi.
Être trahi, avoir trahi, voilà notre blessure la plus secrète.
Moqué, être moqué, voilà notre blessure la plus secrète.
Monte alors en nous la question :
Comment survivre encore, avec au cœur ces déchirures ?

Et là, au cœur de cette brûlure qui, en vérité, nous constitue, l’homme de Nazareth se tient.
Il ne se dérobe pas à la vérité de son désarroi.
Il s’enfonce.
Il entre au fond de son abîme.
Et nous trace ainsi un chemin : ne plus se dérober.
Et oser la prière.

Une prière comme une veille.
Non pas une prière pieuse, non pas une prière religieuse, une prière de psaumes ou de cantiques, mais une prière toute nue, une prière-vérité : une prière comme un cri dans la nuit, où se risquent les mots de la peur, les mots du désarroi, les mots de l’homme qui s’affronte à l’absurde et au néant.
Juste avant que ne surgissent Judas et les gardes, c’est dans le cri de sa prière que l’homme de Nazareth trouve sa force.

Oui, il y a ces instants de nos vies, long comme l’éternité, ces moments où le monde entier semble se dérober sous nos pas ;
Où les étoiles du ciel  elles-mêmes semblent mortes.
Où plus rien ni personne ne semble pouvoir accompagner notre solitude.
Où le monde s’est ligué contre la vie.
Et c’est à cet endroit-là justement que l’homme de Nazareth se tient debout.
Silencieux, anonyme, mais là, présent, pour moi.

Et puis il y a ces secondes, plus terribles encore, où nous découvrons, terrifiés, que c’est nous-mêmes qui avons éteint la lumière des étoiles du ciel.
Nous-mêmes qui avons laissé passer la vie, l’amitié et l’enfance, sans même y prendre garde, sans y être attentif, et voilà qu’il est maintenant trop tard.
Comme Pierre, rien n’est plus possible. Il n’y a plus rien à faire.
Pas à la hauteur, tout simplement.

Pourtant, au manteau de pourpre de la dérision, répond le manteau de larmes de Pierre.
Pourtant si, il reste encore une chose à faire :
Le silence de l’homme de Nazareth, devant ses juges, le rend possible : je peux encore pleurer.

Et les larmes surgissent, me sont confiées, choses précieuses et rares, et voilà que les larmes disent encore la vie qui coule.
Et voilà que le silence de l’homme de Nazareth les accueille, larmes de notre vérité toute nue sur lesquelles il choisira de fonder son message et l’avenir de sa Parole.

Oui, parce que Pierre est un homme, il a eu peur.
L’homme-Pierre a eu peur, et il a renié l’espérance, et l’homme que je suis avec lui.
Nous avons trahi la vie et son défi.

Et trahissant, nous nous sommes jugé, et jugeant, nous nous sommes condamnés.

Mais l’homme-Pierre a pleuré, et de la vérité de ses larmes, l’homme de Nazareth, dans son silence accueillant, a tout lavé.

Il les a mêlées à ses larmes de sang pour en faire la semence d’un royaume nouveau.
Et sur ces larmes, il a fondé son Eglise, et m’a rendu l’espérance et la confiance. (JFB)

Troisième lecture : 15,21-47

Nous voilà drapés dans notre manteau de larmes.
Jésus vêtu-dévêtu du déguisement de pourpre comme un jouet qu’on habille et déshabille …
Restent ses propres vêtements.
Les soldats font main basse sur les vêtements du mourant, s’en saisissent, comme pour trouver un but, un sens à ce qu’ils viennent de faire, un lieu où exercer leur pouvoir.
Le symbole est fort, de Jésus qui perd tout ce qu’il a.
Par la perte de ses vêtements de vivant, dispersés par le plus vulgaire tirage au sort, il est le modèle de l’impuissance, de la fuite vers un dénuement absolu.
Il y rejoint certainement le jeune homme nu de tout à l’heure.

Quand Jésus meurt, le voile du sanctuaire se déchire en deux.
Le sanctuaire, l’endroit le plus sacré du Temple de Jérusalem, là où seuls les prêtres peuvent entrer.
À l’intérieur du sanctuaire, un voile isole une partie qui est le lieu-même de la présence divine, là où aucun être humain ne peut pénétrer sauf le Grand Prêtre une unique fois par an après maints rituels de purification.
Ce n’est pas un voile fin et léger mais plutôt un lourd rideau richement décoré d’or et de pierres précieuses.
C’est ce rideau qui se déchire à la mort de Jésus, parce qu’avec la mort de Jésus, il n’y aura plus de séparation entre Dieu et les êtres humains.
Dieu sort de sa zone de confort, de son repli inatteignable et absolu pour demeurer parmi l’humanité.
Dieu, pourrait-on dire, se rend atteignable.

Au moment de la mise au tombeau, pour honorer le mort comme il se doit, Joseph d’Arimathée, l’entoure d’un linceul.
Mais cela ne durera pas, au matin de Pâques Jésus s’extraira à nouveau de ce vêtement, ce vêtement de mort cette fois-ci.
Il est comme Dieu qui déchire sa prison de tissu, il ne peut être enfermé dans des vêtements, ni ceux des vivants ni ceux des morts.
Dieu sera désormais présent aux humains dans le corps nu de son fils, ni vivant ni mort, mais libre de faire corps avec nous.
Si Dieu lui-même se dévoile en lâchant le tissu qui le protégeait, comme le jeune homme nu, pour venir à notre rencontre, est-ce que nous pourrons faire ce geste de renoncement et laisser tomber les fortifications qui nous protègent de toute tentative de nous projeter hors de nous-même ?
De nous enfuir vers un lieu où personne ne nous arrête, ne nous saisis, mais au contraire nous dit une parole restauratrice ? Amen
(MPC)