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Prédication du culte de la Réformation
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Prédication prononcée en l’église luthérienne Saint-Jean le dimanche 28 octobre 2018, fête de la Réformation, par le pasteur Jacques-Noël Pérès.
Texte : Galates 2, 16-20a
v. 20 : « Je vis, mais ce n’est plus moi,
c’est Christ qui vit en moi.
Car ma vie
présente dans la chair,
je la vis dans la foi au Fils de Dieu. »
« J’ai appris de lui l’Évangile »…
Ces quelques mots prononcés le 18 février 1546, sont pour tout panégyrique les seuls qui sont venus à l’esprit de Philippe Melanchthon lorsqu’on lui a annoncé la mort de Martin Luther (1). Sept mots en allemand, « Ich habe von ihm das Evangelium gelernt », pour résumer l’œuvre considérable de celui qui fut à la fois son maître, son collègue et son ami. Rien de plus.
Et au fond, je me demande si Melanchthon en ces sept petits mots n’a pas tout
dit de la Réformation, que nous célébrons très particulièrement aujourd’hui, tout dit
de l’œuvre de réforme de l’Église entreprise au XVIe siècle quelque part en Saxe
électorale, dont nous sommes aujourd’hui en France comme ailleurs, cinq siècles
plus tard, les héritiers, et je l’espère les héritiers comblés !
Posons-nous la question : qu’est-ce que l’Évangile dont parle ici Maître
Philippe, et qu’est-ce donc qu’apprendre cet Évangile ? Y répondre, ce sera
comprendre la raison pour laquelle ces sept mots suffisent pour saisir ce qu’est la
Réforme protestante.
Ah oui, protestante ! Avant d’aller plus loin, arrêtons-nous à ce
terme. Il a été attribué, en ces temps dont je parle, aux princes et villes acquis au mouvement réformateur, qui, devant la Diète d’Empire réunie à Spire en 1529, n’ont
pas admis les dispositions que leurs adversaires avaient échafaudées, et qui ont ainsi
déclaré leur foi et leurs requêtes : « Nous protestons devant Dieu, ainsi que devant
tous les hommes, que nous ne consentons ni n’adhérons au décret proposé dans
toutes les choses qui sont contraires à Dieu, à sa sainte Parole, à notre bonne
conscience, au salut de nos âmes. » De la sorte, être protestant, ce n’est pas être un
râleur, toujours insatisfait, c’est davantage être de ceux qui affirment devant tous,
pro-testent, qui attestent rechercher dans la Parole que Dieu leur adresse au
témoignage de leur conscience, ce que Dieu veut et peut pour eux et avec eux, ceux,
pour être bref, qui confessent leur foi.
Il y a dans ce qu’exprimaient les premiers protestants à la Diète de Spire, un
élément qui doit retenir toute notre attention. Pour nourrir et soutenir leur foi en ce
salut qui leur est offert et le reconnaître comme ce qui entretient leur âme, c’est-à-dire toute leur personne dès aujourd’hui et plus tard encore, ils font appel à deux
réalités, à savoir la Parole de Dieu et leur conscience. Certains, jusque de nos jours,
rejetant tout ce qui viendrait de nous et en premier lieu notre libre jugement, notre
sereine appréciation, notre conscience, ne veulent rien entendre d’autre que la Parole
de Dieu, qu’ils confondent d’ailleurs bien souvent avec le texte édité de leur Bible. Je
répète volontiers à qui veut bien m’écouter, et j’ai déjà dû le dire une fois ou l’autre
du haut de cette vénérable chaire de Saint-Jean, que le livre appelé Bible est de
l’encre sur du papier. Cependant, étant assistés, éclairés par le Saint-Esprit, lorsque
nous lisons ou lorsque quelqu’un lit pour nous ces pages composées par l’imprimeur,
nous percevons une voix qui s’adresse à nous, qui nous parle, qui ne parle d’ailleurs
pas tant à notre oreille, quoique cela soit aussi, qu’à notre cœur, une voix que nous
reconnaissons alors comme étant celle même de l’Éternel qui nous instruit ou nous
prescrit, qui nous console ou se réjouit avec nous, une voix qui nous enjoint de
donner un sens à notre vie et nous assure de l’aide en cela de celui qui nous parle, de
son secours, ce que nous nommons sa grâce !
En affirmant tout cela, je ne fais qu’emboiter le pas à Jean Calvin, qui a lui aussi
sa place en notre dimanche de la Réformation. Calvin, en effet, soutenait que, je le
cite, « La Parole de Dieu est semblable au soleil, car elle reluit à tous ceux auxquels
elle est annoncée ; mais c’est sans efficace entre les aveugles. Or nous sommes tous
aveugles naturellement en cet endroit, par conséquent elle ne peut entrer en notre
esprit sinon que l’Esprit de Dieu, qui est le maître intérieur, lui donne accès par son
illumination ». Aussi, pour le Réformateur, tout croyant doit-il invoquer le Saint- Esprit, afin que celui-ci, par un témoignage intérieur, lui donne de comprendre ces
Écritures qu’il lit pour affermir sa foi. C’est pourquoi Calvin continue : « Il reste en
après que ce que l’entendement a reçu soit planté dedans le cœur. Car si la Parole
de Dieu voltige seulement en la tête, elle n’est point encore reçue par la foi. Mais
alors, sa vraie réception c’est quand elle a pris racine au profond du cœur pour être
une forteresse invincible à soutenir et repousser tous assauts des tentations. Or, s’il
est vrai que la vraie intelligence de notre Esprit soit illumination de l’Esprit de Dieu,
sa vertu apparaît beaucoup plus évidemment en une telle confirmation du cœur » (2).
Or, c’est moi qui continue, ce témoignage intérieur, n’est-ce pas une autre manière
de nommer notre conscience, ah mais attention : une conscience éclairée par l’Esprit
de Dieu, je pourrais l’appeler une conscience avertie, instruite, expérimentée et par là
même lucide et prudente. Une conscience libre en tout cas !
Reste une question en suspens : comment sommes-nous capables de recevoir le
Saint-Esprit, qui ainsi nous illumine, sans que nous ne soyons des illuminés ou des
allumés, je veux dire d’utopistes songe-creux, idéalistes pour le mieux et fanatiques
au pire ? Nous en sommes capables, parce que, cet Esprit dont je parle, c’est le Christ
Jésus lui-même qui nous l’accorde, ainsi qu’il l’a promis aux apôtres d’abord, c’est-à-dire à nous autres ensuite, voyez d’ailleurs comment, dans le Petit Catéchisme,
Luther expliquant le troisième article du Crédo les relie l’un à l’autre, Jésus-Christ et
le Saint-Esprit, lequel, je cite, « m’a appelé par l’Évangile. »
Oui, oui, il m’a appelé, il nous a appelés et c’était au jour de notre baptême, à vivre en Christ, ou plus exactement peut-être à vivre avec en nous le Christ. En sorte que l’apôtre Paul, dans notre épître de ce matin, c’en était les dernières lignes, est conduit à nous faire reconnaître avec lui, et c’est le verset que je vous rappelais en commençant, « Je vis mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils de Dieu. »
Il me faut ici faire une remarque. Nous avons lu et j’ai relu la péricope de
l’épître aux Galates, telle qu’elle a été retenue par quelque autorité de notre Église et
telle donc qu’imprimée sur la feuille que vous avez devant vous. Mais voilà, j’ai
vérifié le texte grec original, et c’est au demeurant lui que vous pouvez lire dans la
Traduction œcuménique de la Bible, et autres traductions Segond, etc., et j’ai bien dû
m’apercevoir que ce texte, pour une raison qui m’échappe je l’avoue, est ici amputé.
Paul, en effet, écrit : « Car ma vie présente dans la chair, je la vis dans la foi au Fils
de Dieu qui m’a aimé et s’est livré pour moi. » Or ce sont ces derniers mots, qui en
vérité rendent compte de tout l’extraordinaire de l’Évangile, qui soulignent, que
chacun d’entre nous est appelé à faire une expérience personnelle, qui n’est pas des
moindres puisqu’elle définit l’existence chrétienne en ce qu’elle est communion
intime avec celui, et c’est là toute l’affection qu’il témoigne à notre égard, qui
assume nos manquements et nos difficultés, nos rébellions et nos hontes, bref : notre
péché, jusqu’à en mourir sur la croix nous montrant alors, et c’est précisément le
sens de cette croix, qu’il nous est possible désormais d’obéir à la volonté de Dieu, ou
plus exactement qu’une grâce nous est accordée, celle d’être au bénéfice de son
obéissance qui nous justifie, nous rend justes, fait de nous, hommes et femmes
abattus, dorénavant des hommes et des femmes relevés, debout ! Et il y davantage,
ou plutôt il y a simultanément avec la justification, l’assurance qui nous est donnée,
que ce Christ Jésus qui vit en nous, et qui vit en nous dès aujourd’hui et demain
encore, qui vit dans notre monde, dans notre corps – l’incarnation, que voulez-vous,
commencée à Noël ne s’est pas terminée le vendredi saint ni même à l’Ascension,
notre Dieu est toujours un Dieu incarné, c’est d’ailleurs ce qui nous distingue du
judaïsme et de l’islam – l’assurance disais-je qui nous est donnée aujourd’hui et pour
demain, que ce Christ vivant nous ouvre large un horizon sans lui resté fermé,
projetant ainsi notre existence quotidienne, avec nos fatigues et nos peines autant que
nos bonheurs et nos joies, dans la vie du royaume éternel de gloire, qui pour nous
n’est ainsi pas à venir mais déjà bel et bien présent. Et cela, c’est vraiment une bonne
nouvelle, la Bonne Nouvelle, l’Évangile !
« J’ai appris de lui l’Évangile », avouait humblement mais avec reconnaissance
Melanchthon devant le lit mortuaire du Dr Luther. Plusieurs années auparavant,
rédigeant une préface pour le commentaire de l’épître aux Colossiens que publiait le
même Melanchthon, Luther pour sa part écrivait de lui : « Je préfère en vérité les
livres de Maître Philippe plus que les miens, je les préfère aussi, en latin ou en
allemand, prendre la place des miens. » (3).
Comment un théologien d’une telle envergure que Melanchthon, admiré de belle façon par son collègue et ami qui reconnaissait en lui un maître, peut-il dire, comme si ses propres travaux sur les saintes Écritures n’avaient pas été suffisants, que Luther lui a appris l’Évangile ? J’en reviens de cette manière à la question initiale, que je posais au début de cette prédication : qu’est-ce que l’Évangile et qu’est-ce donc qu’apprendre cet Évangile ?
Nous pouvons maintenant en donner la réponse.
On n’apprend pas l’Évangile dans les livres, si savants, si érudits soient-ils, on
ne l’apprend ni en latin, ni en allemand, ni d’ailleurs en français. On l’apprend
premièrement lorsqu’on fait cette expérience personnelle que j’ai mentionnée il y a
un instant, l’expérience de la pleine communion avec le Christ vivant, qui par sa vie
et dans sa mort avant sa résurrection, nous permet de saisir, j’allais dire à bras le corps et je devrais dire aussi à bras l’âme, mais la formule risquerait d’être un rien
étrange, la grâce dont nous avons besoin pour découvrir par l’Esprit Dieu dans sa
réalité et sa vérité de Père et de rédempteur, et du même coup nous découvrir nous mêmes, nous-mêmes pécheurs certes, mais pécheurs pardonnés. C’est cela l’Évangile que nous a appris Luther, tirant un trait sur ce Dieu redoutable dont il avait trop entendu parler, tirant un trait sur une religion légaliste, c’est cela l’Évangile selon Luther : la vie, oui, la vie ! Ah, une chose encore. Lorsqu’on apprend quoi que ce soit, c’est pour pouvoir en faire bon usage, non ?
Avant de fermer les yeux à jamais, Luther a griffonné quelques lignes sur un
petit papier retrouvé par Justus Jonas, un autre de ses disciples et amis, sur sa table
de chevet. Il y avait écrit en un beau mélange d’allemand et de latin, je traduis :
« Nous sommes des mendiants, ça c’est bien vrai. » Il reprenait là une expression
d’un sermon de saint Augustin, que je voudrais maintenant citer, d’autant plus qu’il
consonne avec ce que nous venons de voir : « Tous en effet, nous sommes, lorsque
nous prions, les mendiants de Dieu ; nous nous tenons à la porte de ce père de
famille grand et puissant, nous nous y prosternons, nous gémissons dans nos
supplications, nous voulons recevoir un don : et ce don, c’est Dieu lui-même. Que te
demande le mendiant ? Du pain. Et toi, que demandes-tu à Dieu, sinon le Christ qui
a dit : ‟Je suis le pain vivant, qui suis descendu du ciel.” » (4).
Et si, au fond, être protestant, ayant appris l’Évangile, c’était tout simplement
recevoir dans l’Esprit-Saint le Christ notre frère ; si c’était tout simplement demander
Dieu à Dieu ?
Ainsi soit-il !
1. Stefan Rhein (éd), Philipp Melanchthon, Wittenberg, Drei Kastanien Verlag, 1997, p. 9.
2. Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne III, 2, 34-36. 3
3. Martin Luther, Vorrede zu Melanchthons verdeutschter Auslegung des Kolosserbrief, WA 30/2, p. 68, 9-11.
4. Augustin d’Hippone, Sermon 83, 2, 2, PL 38, col. 515.