Très belle réflexion sur un petit mot glané dans l’évangile selon Matthieu, « trembler », par notre amie Emeline Daudé, stagiaire à la paroisse de la Fraterniré, à Nîmes.
« Arrêtons -nous sur le verset 10 du chapitre 21 de Matthieu : « Lorsqu’il entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi. On disait : Qui est-il, celui-ci ? ».
Le terme grec traduit ici par « en émoi », est le verbe « σείω » (seio) qui signifie « trembler, secouer ». Or, ce terme n’est employé que 3 fois dans tout l’évangile selon Matthieu. Ici pour la foule en émoi, à la mort de Jésus pour parler de la terre qui tremble (27,51) et à sa résurrection pour décrire les gardes du tombeau (28,4). À chaque fois, ce verbe décrit une émotion très forte, qui touche toute la création, lorsque les événements ne semblent plus aller dans le sens de la « normalité », lorsqu’une nouvelle étape, une nouvelle manière de voir et comprendre le monde ou Jésus est mise à jour.
Il serait possible d’y voir un signe qui annonce que les choses vont changer, que quelque chose va se passer. Un peu comme lorsque l’on souhaite réveiller une personne endormie en la secouant ou encore lorsqu’on tente de détourner le regard de quelqu’un en faisant des grands gestes. En ce jour des Rameaux, j’aimerais vous inviter aussi à considérer ce tremblement qui veut réveiller la foule et l’extraire du moelleux de la routine.
Le confinement et l’ébullition des idées et débats qui l’accompagnent ne pourraient-ils pas en effet être rapprochés avec cet émoi ou ce tremblement de terre ? Ce temps que nous vivons, est un temps de changement assurément, mais nul ne sait vers quoi. Les choses redeviendront-elles comme avant ? Le monde changera-t-il comme nous l’imaginons ? Pouvons-nous acter ce début de changement par de nouveaux gestes dès maintenant ? La foule qui a accueilli Jésus à Jérusalem pensait savoir à quoi cela allait amener et pourtant la surprise de la semaine sainte est bien là. Il en fut de même pour les disciples.
Refuser de tout prévoir, de tout anticiper, accepter de faire au mieux, petit à petit, accepter de ne pas tout maîtriser, c’est sans cesse se rappeler que nous ne sommes que des créatures non toutes-puissantes. Il s’agit alors d’accepter de vivre avec une intranquillité toujours présente dans nos cœurs, toujours en dialogue avec nous.
Voici un extrait de l’Intranquillité de Marion Muller-Collard :
« La voie de l’intranquillité s’est imposée à moi par la force des choses. Par la force crue de la vie, qui ne prévient de rien, et qui exige de nous que nous épousions à chaque instant la courbe indéchiffrable de son imprévisibilité. Il y a d’autres choix, bien sûr : vivre sans être vivant, ce qui m’arrive plusieurs fois par jour, plusieurs jours par mois, plusieurs mois par an. Vivre dans une forteresse de certitudes définitives. Vivre en évitant soigneusement le contact avec les autres, ces grands vecteurs d’intranquillité.
À ce jour, en effet, je n’ai pas trouvé de vie vivante qui puisse s’affranchir de l’intranquillité.
C’est pourtant un chemin de crête, tant notre entourage quotidien […] offre une large palette de tranquillisants à la première difficulté rencontrée. » (éditions Bayard, pp. 39-40)
Sans doute bien plus que d’habitude, nous sommes assommés aujourd’hui par les tranquillisants de certaines pensées dites positives : « malgré les soucis, les difficultés, les drames, soyez positif », « Fais de ta vie un rêve et d’un rêve une réalité », « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends », « Quand on veut, on peut. », etc.
En cette période où l’intranquillité est venue toquer à la porte de nos vies, bien plus fort que d’habitude, ne faudrait-il pas plutôt accepter que nous soyons traversés par l’inquiétude, la tristesse, le chagrin ou l’anxiété ? Comment en effet pourrait-il en être autrement en entendant les véhicules de secours ? En écoutant les infos ? En prenant des nouvelles de proches ou de collègues, malades ? Et surtout en pensant à toute la détresse que nous ne pouvons rejoindre ?
L’intranquillité du souci, de l’inquiétude active pour autrui, ce n’est pas cultiver l’anxiété. Il s’agit plutôt de consentir aux sentiments qui nous traversent, à cette intranquillité pour l’autre, tout en croyant profondément que Christ est à nos côtés durant ces jours.
Voilà notre chemin de crête : consentir à ressentir et aspirer à espérer, un jour après l’autre ».