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La sensibilité luthérienne
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Nous avons tous différentes raisons de vouloir vivre la foi chrétienne dans la sensibilité luthérienne : découverte personnelle, tradition familiale, originalité de la spiritualité luthérienne, diversité liturgique, égale importance accordée à la prière, à l’écoute de la Parole et à la célébration des sacrements, richesse du chant choral, ouverture œcuménique, ou autre. Mais il n’est pas toujours simple de préciser ce qui caractérise au mieux notre identité luthérienne. C’est ce que nous propose le théologien Günter Gassmann, avec une série de points essentiels qui disent ce qu’est notre foi, non pas négativement – « nous sommes contre … » – mais positivement – « nous attachons du prix à … ».
Nous publions ci-dessous le texte de Günter Gassmann, paru dans Positions Luthériennes 2002, n° 3
La tradition spirituelle et théologique luthérienne est fondée sur la conviction que tous nos efforts religieux, toute spiritualité humaine et toute moralité sont précédés par l’initiative – première, prévenante, exclusive – de Dieu pour notre salut. C’est le Dieu trinitaire, Père et Créateur, Fils et Sauveur, Esprit Saint et Source de la Foi, qui vient vers nous, qui sommes perdus. Par l’incarnation du Fils, le Dieu lointain et mystérieux vient au milieu de nous. Et Dieu continue, sans cesse, à venir jusqu’à nous, à travers des mots humains dans la proclamation de sa Parole, et avec des fruits de sa création dans la célébration des sacrements. Nous autres, les humains, nous ne sommes pas capables, nous disent notre tradition et notre identité luthériennes, de nous élever jusqu’à Dieu par nos spéculations philosophiques ni par nos efforts ou nos exercices spirituels. C’est Dieu qui descend jusqu’à nous, qui souffre pour nous sur la croix, et qui reste avec nous. Ce mouvement de Dieu vers nous, et non pas l’inverse, est le leitmotiv de toute la pensée et de toute la foi luthériennes. Ce n’est pas une idée théologique abstraite mais une certitude pastorale. Nous pouvons être certains que la venue de Dieu parmi nous est le vrai, mais aussi le seul chemin vers le salut, vers la certitude de la foi, et vers une vie épanouie.
Depuis l’époque de la Réformation, la doctrine de la justification du pécheur par la seule grâce de Dieu, par le moyen de la foi, est au centre de la foi protestante. La justification, ou l’acquittement du pécheur, signifie que de façon inconditionnelle, et indépendamment de toute œuvre humaine, le péché et la faute des pécheurs sont pardonnés, et que la relation brisée avec Dieu et avec les autres êtres humains est rétablie. Par la grâce, ce mouvement de Dieu vers le pécheur, qui est devenu visible et tangible en Jésus-Christ, les personnes humaines, quand elles acceptent ce don avec foi, sont déclarées justes et le deviennent. Elles sont revêtues de la justice du Christ. Ainsi, chacun peut être régénéré, se détourner de lui-même pour se tourner vers Dieu et vers les autres. Nous demeurons pécheurs, mais nous sommes libérés de l’esclavage du péché. Ce changement et cette libération sont des dons de Dieu, qui ne demandent qu’à être saisis par nous, afin de renouveler notre être intérieur. Ainsi sommes-nous, en même temps, pécheurs et justifiés.
Ce message de la justification en Christ est considéré comme le cœur de l’Évangile. Il est le fondement de l’existence chrétienne, et le critère pour évaluer la proclamation, l’enseignement et la vie de l’Église. La doctrine de la justification a été la différence doctrinale la plus importante entre les traditions luthérienne et catholique romaine à l’époque de la Réforme et depuis lors. L’accord luthéro-catholique sur cette doctrine, auquel on a pu arriver au cours de ces trois dernières décennies, a été signé et célébré dans la ville allemande d’Augsbourg le 31 octobre 1999, jour de la Réformation. Ce fut, pour l’Église, un événement de portée historique.
La Réforme luthérienne a considéré l’Église, avant tout, comme une communauté vivante de personnes, plus précisément de croyants, et non pas d’abord comme une institution ou une organisation. Cependant, il ne suffit pas, pour que naisse une telle communauté, que se rencontrent, de leur propre initiative, des gens qui auraient de la sympathie les uns pour les autres et s’intéresseraient aux mêmes choses. Ici aussi, l’initiative appartient à Dieu, qui édifie l’Église « de l’extérieur ». L’Esprit-Saint, par la Parole et les Sacrements, fait naître la foi dans les personnes, et les réunit dans une communauté de croyants et de saints. C’est ainsi que naît l’Église une, sainte, catholique et apostolique qui est confessée par les luthériens, avec d’autres chrétiens, dans le Symbole de Nicée de 381. Dans cette Église, le Saint-Esprit accorde le pardon du péché et sanctifie les chrétiens pour une vie nouvelle de piété, de témoignage et de service dans le monde.
En opposition à la subordination des laïcs au clergé qu’avait connue le Moyen-Âge, la Réforme luthérienne a mis l’accent sur l’égalité, fondée sur leur baptême, de tous les croyants devant Dieu. Cette réalité s’exprime dans « le sacerdoce royal de tous les baptisés », qui exercent ce sacerdoce en priant Dieu pour tous les humains, et en annonçant le pardon des péchés à leurs prochains au sein de la famille, parmi leurs amis et au-delà. En même temps, on considère que les pasteurs ordonnés exercent une charge qui est instituée par Dieu et qui est indispensable à l’Église. Ils assument publiquement leur ministère – dont ils sont responsables devant Dieu et devant l’Église – en proclamant la Parole, en administrant les Sacrements et en exerçant une direction pastorale. Les pasteurs et les évêques encouragent le ministère des baptisés et comptent sur leur soutien et leur collaboration.
Confesser la foi devant Dieu et devant les humains fut pour les luthériens, dès le début, un élément fondamental de leur existence chrétienne. La confession commune de la foi est comprise comme la nécessaire réponse des croyants au salut offert par Dieu. De plus, les textes confessionnels et les Crédos donnent à une communauté chrétienne son orientation, son unité et son identité. « Voyez, c’est cela que nous croyons et qui fonde notre certitude personnelle et communautaire ».
A cause de cette importance donnée au fait de confesser la foi, les anciens crédos jouent un rôle central dans le culte luthérien et dans les confessions luthériennes, celles-ci étant considérées comme un instrument important pour la formation des laïcs et les pasteurs, et comme faisant partie de la base théologique des constitutions ecclésiales. Les confessions fournissent un centre herméneutique et une perspective pour interpréter l’Écriture Sainte, elles servent de guide pour comprendre la foi de l’Église, et elles constituent un critère pour distinguer entre un enseignement juste et une doctrine fausse. Les confessions sont le fondement qui maintient la cohésion et exprime le caractère communautaire de chaque Église luthérienne, et elles servent à unir les Églises luthériennes sur le plan mondial.
Au sein du luthéranisme, les études et recherches théologiques jouent un rôle important. Les travaux scientifiques des théologiens luthériens ont enrichi l’histoire intellectuelle de ces cinq derniers siècles. Cet accent mis sur la réflexion théologique a conduit très souvent à des disputes extrêmement vives, et parfois à des querelles ridicules entre théologiens luthériens à propos de la compréhension correcte de la vérité. Mais cette tradition théologique importante (et combattive) est le signe du sérieux avec lequel on désire, pour chaque nouvelle génération, interpréter le message biblique et proclamer, ici et maintenant, la vérité de la foi chrétienne. Cette réflexion théologique intensive sur des questions relatives à la foi et à la vie chrétienne a profondément marqué la vie sociale, politique et culturelle de nombreux pays.